« LA GUERRA » le dernier boutre des Comores

  • « LA GUERRA » le dernier boutre des Comores
    – « La guerre »… Une appellation bien agressive pour ce « personnage » bien placide. Pourquoi ce nom? Plus personne ne sait. Cette année 2001 est une grande année pour le « La Guerra » : il fête ses cent ans. Un siècle à sillonner l’Océan Indien. Un siècle à transporter hommes et marchandises, d’île en île, poussé par la seule force des alizés. Un siècle à danser sur les eaux au rythme des vents et des vagues, même si son grand âge ne lui permet plus de partir pour des courses lointaines et le cantonne à une liaison entre Mohéli et Anjouan.
    Le La Guerra, un vestige de la marine à voile
    A mesure qu’il avance sur l’eau, on se sent reculer dans le temps. Installé à l’extrémité de la jetée du port de Mutsamudu (autant dire au milieu de l’océan), on peut le regarder glisser sans autre bruit que celui des vagues qui s’écrasent le long de sa coque de bois. L’après-midi avance, les couleurs se réchauffent. Sa voile, patchwork triangulaire, camaïeu de tons beiges, éclate sur le bleu du ciel et de l’océan. Rapiécée de partout, elle porte les stigmates d’une vie bien remplie. La coque noire, ourlée d’un liseré rouge, élancée, fend l’écume bouillonnante. Le silence n’est troublé que par le bruissement de ce bouillonnement. Le vent seul propulse le bateau. Il n’est maintenant plus qu’à une vingtaine de mètres, en contrebas. Entrant dans le port, deux marins affalent l’unique voile, dévoilant son contenu : les habituels sacs de noix de coco et de bananes, comme tous les bateaux qui viennent de Mohéli, mais également des passagers. Une scène directement tirée des « Voyages en Mer Rouge » d’Henri de Montfreid. Pressés sous une toile grisâtre qui les a protégés du soleil pendant la traversée, ils sont une bonne vingtaine, y compris des gamins à peine capables de marcher.
    L’entrée du La Guerra dans le port de Mutsamudu
    Le boutre passe devant les quelques bateaux dormant à quai : les deux « Ville de Sima », le « Foumbani »… La manœuvre d’accostage, sans moteur pour arrêter sa course, intrigue et rend attentif. En quelques secondes, il est arrimé au quai avec une facilité déconcertante, un mètre cinquante au-dessous du quai.
    Le déchargement
    Le « La Guerra » se vide alors de ses passagers. Ils s’extirpent un à un du fond de la coque et atteignent le quai au prix de quelques acrobaties. Les gamins passent de mains en mains, nullement impressionnés par une situation qui semble leur être coutumière. L’appontage des bouénis est toujours une image souriante. Leur embonpoint coutumier fait prendre les postures les plus cocasses.
    Un remue-ménage vers l’arrière du bateau attire le regard. Des ânes ! Trois ânes gris, cousins ou frères de ceux qui parcourent les plages de Mohéli. Etrangement stoïques après un voyage qui a, malgré tout, dû être mouvementé : les alizés soufflent encore en ce mois de juillet finissant et agitent l’océan. Comment va-t-on les extraire de leur véhicule : un plan incliné ? Pas assez de recul ! A bras d’hommes ? Un peu trop sportif ! La réponse est pourtant tellement simple et évidente : un harnais, une corde, une poulie accrochée au mât, trois ou quatre gaillards soldement campés sur le quai pour tirer. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le premier équidé peut pousser un hi-han de satisfaction, soulagé d’avoir rejoint le plancher des vaches. Seul le dernier âne donne un peu de fil à retordre, plus en raison de la technique un peu particulière qu’ont les marins comoriens du « La Guerra » d’enrouler leurs cordes : en prenant bien garde d’en faire un tas aussi inextricable que possible. Pendant que le sac de nœuds se démêle, une fumée inquiétante s’évade de la cale n’éveillant aucune crainte dans l’assistance. Et pour cause! Un homme en sort, lave une pierre noire, lisse et légèrement creusée posée à côté de la trappe qui donne accès aux entrailles du bateau. Il y pose quelques grains de poivre et commence à les écraser sans se soucier de l’agitation ambiante. Profitant du calme amené par l’abri du port, il prépare la tambouille de l’équipage. Il a préparé son âtre au fond de la cale : voilà donc l’origine de cette fumée.
    Le « La Guerra » fête cette année un siècle d’existence. Un siècle à transporter les mêmes marchandises. Les générations se sont succédées à son bord dans des gestes et des attitudes immuables. On imagine aisément l’agitation qu’a dû connaître le « la Guerra » du temps de la splendeur de ses vingt printemps dans ce port. Les arrivées sont toujours joyeuses et colorées, même si elles sont devenues plus rares. Pendant combien de temps le « La Guerra » arrivera-t-il à résister à la génération montante, celle qui pétarade, celle qui abandonne des flaques de fioul derrière elle? Son avenir est pourtant tout tracé dans un monde où vitesse et rentabilité sont les valeurs de base : le « La Guerra » peut mettre jusqu’à quarante-huit heures pour parcourir les soixante kilomètres qui séparent Mohéli d’Anjouan. Le « Twaman », par exemple, qui est pourtant loin d’être un Chris-Craft de compétition, met deux fois moins de temps pour parcourir une distance double… La serénité et la beauté ne sont pas des éléments monnayables en matière de transport maritime. C’est pourtant ce qui fait rêver chaque occidental et participe à ce qu’il appelle : l’art de vivre… Mais la quête du rêve d’une vie meilleure se limite pour lui à cinq semaines par an.
    Un homme assis à l’arrière du boutre attire mon attention. En occident, on n’y verrait qu’un « pauvre » qu’on dirait « en guenilles », on irait peut-être jusqu’à le plaindre… J’ai la conviction que s’il avait à choisir, en toute réelle lucidité, il n’échangerait pas sa place contre une place de métro. Même s’il rêve probablement d’avoir sa voiture, son téléviseur…

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