Le sultanat d’Anjouan
Le texte suivant nous permet de comprendre un peu le sens de cette croix de la Légion d’honneur donnée à certains plutôt qu’à d’autres :
« L’ordre rétabli dans la rue fallut le ramener dans les esprits. L’intervention française n’était point désapprouvée. L’opinion publique en son ensemble estimait que la France avait fait justice de peu avouables ambitions. Encore fallait-il que le nouveau sultan tout en s’autorisant de notre influence, pût se concilier la faveur du peuple. Dès lors, Essayed Omar s’indiquait de lui-même. C’était lui qui avait le plus efficacement collaboré aux préliminaires de l’instrument diplomatique grâce auquel Mayotte était devenue possession française. La France lui avait déjà témoigné sa reconnaissance en lui donnant la croix de la Légion d’honneur. Et cette distinction n’avait été ni imméritée, ni superflue elle avait récompensé un attachement sincère – et scellé un durable accord. Réfractaire à tout complot, hostile à toutes menées, Essayed Omar donnait l’impression d’un homme sur qui l’on pouvait compter sans réserves.
De souche royale – et musulman – il ne devait, semblait-il, inspirer nulle défiance à ses futurs sujets auxquels il allait s’offrir comme un chef naturel, dicté par des origines et des sympathies de religion et de race. Appelé au Sultanat d’Anjouan en 1891, son règne devait contribuer à l’apaisement des âmes. Mais il devait être de courte durée. Avant qu’une année soit révolue, Essayed Mohammed, son fils, était appelé à lui succéder. Depuis lors il n’a cessé d’être, depuis son avènement au trône, le collaborateur zélé et fidèle de nos résidents dans l’administration des affaires du protectorat
Agé, aujourd’hui, de trente-neuf ans, grand, bien fait, corpulent, comme tout oriental, il représente le type pur de l’Arabe noble des Comores. Sous le teint bronzé, la physionomie, qu’éclaire un sourire de bon aloi, est agréable, intelligente et fine. Elevé à Mayotte, dans un milieu composé de nationaux français, il y a appris notre langue : il s’y est familiarisé avec nos idées. Il nous connaît et sans exagération on peut dire qu’il aime la civilisation jusqu’à la patrie française.
Nos mœurs ne lui sont point étrangères : il les concilie avec celles que dictent ou imposent la latitude, la tradition – et le climat. Il n’a rien du fanatisme musulman et le fatalisme des Arabes n’a fait qu’effleurer son esprit. L’esprit politique de son père est en lui. Doué d’activité, il ne l’exerce point à notre encontre : son autorité n’est limitée que par nos conseils : il écoute ceux-ci et met tout entière celle-là au service de notre politique. Et d’ailleurs notre politique n’est point différente celle que son intérêt et le souci local lui commandent d’adopter.
C’est un prince auprès duquel l’influence légitime du résident s’exerce librement. Les exhortations de notre représentant n’ont jamais trouvé chez lui l’indifférence. Aucune conjecture où il ne prenne soin de nous témoigner qu’il n’a point oublié à quelle assistance il doit son investiture. Et c’est chose déjà fort louable qu’il n’ait point méconnu ses origines. Il marque de l’initiative comme d’exonérer de tous droits d’entrée les marchandises françaises, soucieux qu’il est de multiplier, en les facilitant, les relations du royaume avec la France.
Il est bon que cela soit su, afin qu’ainsi on encourage à l’expansion le commerce et l’industrie française; si l’on ne veut point livrer à la seule exploitation des Anglais et des Allemands ce pays très riche et très neuf. Il paraît que les capitaux prennent moins de timidité; sous la menace de l’impôt sur le revenu, ils envisagent avec moins de terreur l’éventualité de s’appliquer à des entreprises coloniales. Nous en savons qui sont allés à Anjouan pour y tenter la fortune. Il y a dans l’ile trois grandes propriétés sucrières, deux sont exploitées par des Français.
Essayed Mahommed s’emploie de tous ses efforts à stimuler l’esprit d’initiative de l’industrie et du commerce français. Tâche rude de triompher de l’inertie et de faire descendre dans les faits une activité seulement théorique. Il serait à désirer que ses efforts ne soient point superflus, et que le règne de Essayed Mohammed apparaisse de plus en plus profitable à la mère-patrie laquelle ne saurait mieux faire pour témoigner qu’elle apprécie ce zèle avéré, d’attacher, pendant son séjour à Paris, où il vient d’arriver pour la première fois, sur la poitrine du jEssayed Mahommedn, comme elle a fait naguère pour son père, la croix de notre Légion d’honneur. »
AUGUSTE MEULEMANS.
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Image : Said Mohamed Sidi Al Macely à Paris, âgé de 39 ans en 1901.